Stress Burn-out Dépression

le burnout, tare du monde professionnel contemporain ? Dans les faits, il ne touche pas toutes les personnalités, et le travail est rarement seul en cause. La frontière est floue entre le burnout et la dépression.

Les symptômes

Plus de 130 manifestations du burnout ont été recensées, heureusement jamais toutes présentes chez une même personne. Ces manifestations peuvent être d’ordre affectif, cognitif, physique, comportemental ou motivationnel, et tendent à toujours s’exprimer à un niveau à la fois individuel, relationnel et organisationnel.

Un premier pôle relève de la frénésie : hyperactivité, heures supplémentaires volontaires et non payées, sentiment d’être indispensable ou de ne pas avoir le temps, impossibilité de marquer une coupure, sentiment d’invulnérabilité… conduisent à un épuisement physique et émotionnel plus ou moins rapide.

Le deuxième conduit au désinvestissement des relations et activités humaines comme le travail : prise de distance, évitement, substitution de la relation d’aide par la surveillance et le contrôle, stéréotypage en bons et mauvais clients ou patients, retrait derrière le jargon professionnel, difficultés à donner ou à écouter, froideur, perte d’empathie, cynisme, désillusionnement, sentiment de ras-le-bol, rêveries, pauses à répétition, arc-boutement sur les conditions de travail matérielles…

Le troisième est celui de la détresse psychologique, avec une tonalité à la fois dépressive (culpabilité, autodépréciation, angoisse diffuse, instabilité émotionnelle, amertume, jalousie, sentiment de vide intérieur et d’impuissance, désespoir, apathie) et agressive (reproches adressés à autrui et au « système », minimisation de sa propre part, impatience, irritabilité, négativité, ressentiment, et promptitude aux conflits).

Le quatrième englobe divers signes de pétrification cognitive : troubles de la concentration et de la mémoire, désorganisation, indécision, démotivation, perte de l’esprit d’initiative, de la fantaisie, du sens de l’humour, inflexibilité et rigidité, zèle, manichéisme, et résistance au changement…

Le cinquième marque un appauvrissement émotionnel (indifférence), social (moindre sympathie ou surinvestissement de certains liens, évitement des contacts informels ou des conversations relatives à son propre travail, excentricité factice, repli sur soi…) et spirituel (abandon des hobbies, ennui, crise spirituelle, perte des valeurs antérieures). Enfin, s’ouvre la boîte de Pandore des retentissements psychosomatiques classiques du stress : baisse des défenses immunitaires, troubles du sommeil, troubles sexuels, palpitations, sentiment d’oppression thoracique, hypertension artérielle, tensions musculaires, mal de dos, migraines, troubles du transit intestinal, nausées, ulcères gastroduodénaux, affections cutanées (acné, psoriasis, eczéma), prise ou perte de poids, consommation de psychostimulants (alcool, café, tabac, autres addictions)…

Aucun de ces signes n’est en soi caractéristique. Ceci dit, le burnout pose d’importants problèmes de diagnostic différentiel, et contrairement à l’idée répandue qui voudrait en faire une entité parfaitement distincte de la dépression, il recouvre dans trois cas sur quatre un trouble anxio-dépressif net

Dépression ou Burn-out

Enfin, plusieurs profils ou traits de personnalité sont susceptibles de sensibiliser au burnout, ou au contraire d’en protéger. La personnalité proactive, qui se définit par sa capacité à modifier son environnement, ce qui la conduit à saisir les opportunités, à faire preuve d’initiative et à persévérer tant qu’elle n’a pas atteint le but recherché, tend à protéger du burnout. Les individus endurants, enclins à l’engagement, au challenge et au contrôle sur les événements, perçoivent généralement les stresseurs comme des défis plutôt que des menaces, car les changements font pour eux partie d’un mode de vie normal, ce qui fait de l’endurance un facteur protecteur contre le burnout.

La personnalité de type A, caractérisée par l’ambition, le sens de la compétition, le goût pour l’urgence, l’impatience et une certaine agressivité, contribue en général à un engagement professionnel et à des objectifs élevés. Cette structure de personnalité, classiquement mise en avant dans les études sur le stress, est sensible à l’épuisement émotionnel et, plus inconstamment, à la dépersonnalisation. L’affectivité négative, marquée par une inclination générale à ressentir et exprimer des affects négatifs (tristesse, anxiété, hostilité, etc.) est associée à une plus grande sensibilité au burnout. Le perfectionnisme, parce qu’il conduit à se fixer des standards très élevés et à développer une forme d’anxiété face à toute possibilité d’erreur, a un coût psychique important qui prédispose au workaholism et/ou au burnout.

Que retenir ? En premier lieu que la distinction entre burnout et dépression est loin d’être limpide, et qu’une plainte de burnout impose d’écarter le risque suicidaire qu’induit la dépression. Ensuite, que le travail n’est jamais seul en cause. Alors pourquoi le discours social fait-il du burnout une entité distincte de la dépression, et d’origine professionnelle ? Osons paraître iconoclaste : le succès social du burnout permet d’échapper à la stigmatisation dont souffre encore la dépression. D’abord, parce que cette dernière charrie encore l’image d’une faille, voire d’une faillite de la personne qu’elle affecte, supposée ne pas avoir les épaules assez larges pour affronter une situation problématique.

Si le droit à la faiblesse nous est aujourd’hui plus facilement consenti, il s’accorde mal au culte de la performance régissant tous les domaines de notre vie. Mais outre cet évitement, le burnout permet une externalisation de responsabilité : puisqu’il est socialement et médiatiquement véhiculé comme résultant du travail, je n’apparais plus comme le responsable de ma situation, mais comme la victime d’un coupable externe socialement désigné. Tous les ingrédients d’un processus de « bouc émissarisation » du travail, au sens de René Girard, sont donc réunis, ouvrant la voie à une dynamique de victimisation des « burnoutés », qui trouvent là une solution pour assurer une continuité psychique dont il faut conserver à l’esprit, aussi critique soit-on, qu’elle est mise à mal…